" Circulez ! Il n’y à rien à voir. C’est un peu ce que j’ai envie de me dire ces temps-ci, même on évite de trop circuler... "
4ème dimanche de Carême - Année A - Dimanche 22 mars 2020
1 Samuel 16, 1-13 - Dieu choisit David comme roi de son peuple Psaume 22 (23)
Ephésiens 5, 8-14 - Vivre dans la lumière Ev selon St Jean 9, 1-41 L’aveugle-né
Circulez ! Il n’y à rien à voir. C’est un peu ce que j’ai envie de me dire ces temps-ci, même on évite de trop circuler... Il ne faut pas se serrer la main. Déjà qu’après toutes les révélations de l’an dernier, on n’osait plus se serrer dans les bras ou s’embrasser ! Il y a 15 jours, on a supprimé le baiser de paix. Le dimanche suivant, on a supprimé les rassemblements. Maintenant, on peut juste se croiser de loin. Les familles qui ont un défunt mort du virus ne peuvent le voir, lui tenir la main jusqu’au bout, l’accompagner ! Il n’y a rien à voir…
Pourtant, ce jour-là, Jésus a vu cet homme qui ne voyait pas. A Jéricho, l’aveugle Bartimée (Marc 10, 46-52) avait entendu parler de Jésus et a crié vers lui… A Jérusalem, l’aveugle n’a rien vu ni entendu, il n’a rien su... Les apôtres eux aussi ne savaient pas : pourquoi cet homme était-il aveugle, à cause quelle malédiction. Devant un problème, il faut toujours trouver un coupable ! La théorie du complot, qui ressort à propos du virus... Les voisins ne savaient plus si c’était le mendiant ou pas : c’est lui, ou pas lui ? Les Pharisiens non plus ne savaient pas ! Ils ne savaient pas que la vie d’un homme, ou la vue, était plus importante qu’une règle, fut-elle sacrée ! Comme si la vie n’était pas ce qu’il y a de plus sacré. Les parents de l’aveugle-né non plus ne savaient pas. Ils savaient simplement qu’ils avaient peur de l’ordre établi, des pharisiens et des prêtres. Ils ne savaient même pas se réjouir de la guérison de leur fils !
Dans cet Évangile, le seul qui voit, le seul qui sait ou plutôt qui apprend à savoir, c’est celui à qui Jésus a ouvert les yeux. Au fur et à mesure qu’il raconte ce qui s’est passé, il proclame sa foi. Il passe du voir au croire. La première fois, il parle d’un homme qu’on appelle Jésus. Quand les Pharisiens le questionnent, il leur répond : « C’est un prophète ! » Interpellé à nouveau, il réplique : « Voulez-vous, vous aussi, devenir ses disciples ? » Il va plus loin en disant qu’il doit être de Dieu, puisque Dieu l’a exaucé ! Enfin, quand il retrouve Jésus, il proclame sa foi : « Je crois, Seigneur, je crois au Fils de l’homme », et il se prosterne, geste que ne se fait que devant Dieu ! Tout au long du récit et des rencontres, l’aveugle a grandi dans sa foi, ses yeux comme son cœur et son intelligence se sont ouverts. Il fait vraiment partie de ceux qui ne voyaient pas et qui, grâce au Christ, peuvent voir !
Et si, pour nous, cette crise était une opportunité, pour regarder autrement le monde, notre vie. Voir avec les yeux de Dieu. Permettez-moi de vous citer ces mots de Christiane SINGER, que m’envoyait une amie ces jours-ci, sur ‘‘le bon usage des crises’’ : « J’ai gagné la certitude que les catastrophes sont là pour nous éviter le pire. Le pire, c’est bel et bien d’avoir traversé la vie sans naufrages, d’être resté à la surface des choses, d’avoir dansé au bal des ombres, d’avoir pataugé dans ce marécage des on-dit, des apparences, de n’avoir jamais été précipité dans une autre dimension.
Les crises, dans la société où nous vivons, sont vraiment ce qu’on a trouvé de mieux, à défaut de maître, quand on n’en a pas à portée de la main, pour entrer dans l’autre dimension. Dans notre société, toute l’ambition, toute la concentration est de nous détourner, de détourner notre attention de tout ce qui est important. Un système de fils barbelés, d’interdits pour ne pas avoir accès à notre profondeur.
C’est une immense conspiration, la plus gigantesque conspiration d’une civilisation contre l’âme, contre l’esprit.
Dans une société où tout est barré, où les chemins ne sont pas indiqués pour entrer dans la profondeur, il n’y a que la crise pour pouvoir briser ces murs autour de nous. La crise, qui sert en quelque sorte de bélier pour enfoncer les portes de ces forteresses où nous nous tenons murés, avec tout l’arsenal de notre personnalité, tout ce que nous croyons être… »
Frères et sœurs, que cette crise soit le moyen de guérir de notre cécité ! Faut-il sauver l’économie et les banques, ou faut-il sauver l’homme ? Nous avons été pétris avec de la boue ; cette boue sur nos yeux nous empêche de voir, de consentir au réel. Jésus nous invite à nous laver, nous plonger. Cette boue, c’est la terre que Dieu nous a confiée et que nous avons exploitée, polluée. Pensons aux mots du pape François ! De quel virus avons-nous besoin de guérir, de quoi avons-nous besoin de nous purifier, sinon celui du péché, toutes ces tentations qui nous guettent et nous ont menés au désert. Seigneur, nous voici vraiment en carême, cette année !
Ce 4ème dimanche de carême est le dimanche de Laetare ! Les prêtres célèbrent en rose, couleur de l’aurore, signe de la joie qui vient, comme une pause dans cette quarantaine. Au cœur de ce temps de pénitence, l’Église nous fait entrevoir la fête qui s’annonce : le Ressuscité sera au rendez-vous, même si nous risquons de vivre une Semaine Sainte de confinés ! Le Fils de l’Homme a rendez-vous avec l’homme blessé par la pandémie, l’homme aveuglé par son péché, l’homme comme anéanti par le Diviseur. Le Fils de l’Homme vient relever l’homme, lui ouvrir les yeux, le plonger à Siloé comme dans la fontaine baptismale. Nous devions nous le rappeler en vivant en communauté ce 2ème scrutin vers ton baptême, Pascal. Nous allons vivre un 2ème dimanche sans messe dans les églises. Vous êtes invités à un jeûne de communion eucharistique, solidaires de tant d’hommes et de femmes privés d’eucharistie, comme ils sont quotidiennement privés d’eau, privés de nourriture, privés de santé, privés de paix, privés de justice. Et cela ne nous fait pas problème ! Et si ce carême, cette quarantaine me rendait plus solidaire de mes frères humains.
Merci, Seigneur, de m’ouvrir les yeux. Merci, Seigneur, de tout ce qui est en train de naître, des relations nouvelles, des catéchèses qui s’inventent sur la toile... Seigneur, je crois ! Tu es le Fils de l’homme. Tu me fais homme. Laetare. « Réjouissez-vous avec Jérusalem… » (antienne d’ouverture de la messe - Is 66, 10)
Amen.