TROISIEME DIMANCHE DE CARÊME B
Jésus a chassé les vendeurs du temple…
Avouons-le, ce passage d’évangile nous choque.
Nous n’aimons pas voir Jésus en colère.
Hier, les témoins de la scène ont été horrifiés. Qu’est-ce que Jésus voulait leur dire ?
Aujourd’hui, à la lecture de ce texte, nous sommes étonnés. Qu’est-ce que Jésus veut nous dire ?
Hier, qu’est-ce que Jésus voulait dire aux gens qui se pressaient dans le temple ? Pourquoi a-t-il mis tant d’acharnement contre les marchands et les changeurs ? Car enfin, la présence des marchands n’était pas facultative. Les marchands étaient indispensables pour que puisse exister le culte. Il fallait bien les bêtes qu’on offrait en sacrifice. Ce sont eux, les marchands, qui ont vendu à Joseph et Marie les deux petites colombes, lors de la Présentation de Jésus au temple. Il fallait bien aussi les changeurs d’argent. Ils étaient là pour que la monnaie impie à l’effigie de César n’entre pas dans l’enceinte sacrée. C’eût été pour eux un sacrilège !
Si bien qu’en faisant ce geste, Jésus ne s’attaquait pas seulement aux marchands, mais il s’en prenait au culte lui-même. En renversant les comptoirs, il renversait la religion.
Impossible de comprendre cela si on ne sait pas que la violence de Jésus se rattache à la grande lignée des prophètes. Bien avant Jésus, les prophètes n’y allaient pas de main morte pour dénoncer les pratiques du temple.
Le prophète Amos proclamait : " Le sacrifice de vos bêtes grasses, dit Dieu, je ne le regarde plus. Écartez de moi le bruit de vos cantiques. Que je n’entende plus la musique de vos harpes. Mais que le droit coule comme l’eau et la justice comme un torrent qui ne tarit pas. "
Les prophètes dénonçaient, et avec quelle vigueur, l’incohérence entre ce qu’on célébrait dans les temples et ce qu’on pratiquait dans la vie quotidienne.
C’est sûrement cela que Jésus dénonçait lui aussi, ce jour-là, auprès des familiers du temple.
Mais, il y avait encore plus. Jésus annonce un nouveau culte, le nouveau temple. Le nouveau temple, c’est moi, dit Jésus. " Détruisez ce temple, et moi, en trois jours, je le rebâtirai. " Jésus fait allusion à sa mort et à sa résurrection, le troisième jour. Personne ne comprend cette phrase énigmatique, même pas les disciples. Jésus prédit à l’avance : certes, on détruira le temple de son corps sur la croix… mais désormais, le lieu de la rencontre de l’homme avec Dieu, ce ne sera plus le temple, ce ne sera plus un lieu, mais ça sera quelqu’un : le Corps du Christ et d’innombrables frères et sœurs avec qui Jésus ne fait qu’un !
Voilà le grand message donné par Jésus dans sa « sainte colère » au Temple de Jérusalem.
Aujourd’hui, qu’est-ce que Jésus veut nous dire ? Est-il possible que les mots des prophètes s’adressent à nous ? " Écartez de moi le bruit de vos cantiques. Que je n’entende plus la musique de vos harpes ! " Comment oserais-je faire écho à ces paroles dans cette paroisse et tant d’autres au Pays-Basque si vivantes par le chant et la ferveur, la foi et la prière ?
Comment ferais-je écho aux paroles sévères de Jésus… alors que je pense aussi à ceux et celles qui prient chez eux par peur de la COVID ; ou qui sont retenus à la maison pour cause d’infirmité ou de vieillesse ; et suivent la messe télévisée.
Non, décidément, il n’est pas question de faire taire une communauté vivante, ni de chasser ou renverser la flamme qui nous anime.
Ils attachaient aussi beaucoup d’importance à la messe, à la musique et aux cantiques dans leurs églises, ces chrétiens d’Irak que notre pape François visite pendant trois jours. Chrétiens d’Orient persécutés. Le pape leur a dit : « Oui, je viens comme un pèlerin de paix en recherche de fraternité, animé du désir de prier ensemble et de marcher ensemble, également avec les frères d’autres traditions religieuses, sous le signe de notre père Abraham, qui réunit les musulmans, les juifs et les chrétiens en une unique famille.
Je suis honoré de rencontrer une Église martyre : merci pour votre témoignage ! Que les nombreux, trop nombreux martyrs que vous avez connus nous aident à persévérer dans la force humble de l’amour.
Vous avez encore dans vos yeux les images de maisons détruites et d’églises profanées, et dans votre cœur les blessures des attaches familiales laissées et des habitations abandonnées. Je voudrais vous apporter la caresse affectueuse de toute l’Eglise, qui est proche de vous et du Moyen-Orient meurtri et qui vous encourage à avancer. »
Et en Amérique Latine, je pense à Don Helder Camara, qui était évêque au Brésil, il raconte : « Un jour, des fidèles viennent me demander de célébrer une messe de réparation dans leur village. Pourquoi ? Parce que des voleurs ont pillé l’église, ils ont cassé le tabernacle, emporté les ciboires et, en partant, ils ont jeté les hosties dans la boue. J’y suis allé, bien sûr, et je leur ai dit : ‘Vous êtes horrifiés parce que le Corps du Christ a été jeté dans la boue. Vous avez raison. Mais, n’oubliez pas qu’ici et ailleurs, le Corps du Christ est jeté dans la boue quand les plus pauvres, les plus petits sont écrasés, humiliés. »
Aujourd’hui encore, le Corps du Christ est livré aux marchands : corps d’hommes, de femmes et d’enfants, vendus, prostitués, humiliés, suppliciés, harcelés, abusés. Et que dire de ces autres habitants de notre planète qui pourraient être écrasés par des missiles ? Cela mérite bien la colère et l’indignation de Jésus. Il nous redit encore ce matin : " N’abandonnez pas mes frères aux marchands et aux brigands ".
Devant tout ce qui défigure, mercantilise, profane le visage de l’homme et donc le Corps du Christ, notre devoir est de protester et de résister.
Alors en ce temps du Carême déjà bien entamé, soyons vigilantes et sachons discerner nos comportements : Pas d’incohérence entre ce que nous célébrons dans nos temples de pierre, le dimanche, et ce que nous pratiquons dans notre « maison commune » au quotidien.
Amen