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Un théâtre de la nature à Hendaye
Un théâtre de la nature à Hendaye

| Jacques EGUIMENDYA 1518 mots

Un théâtre de la nature à Hendaye

" Nous sommes en septembre 1913 "

Nous sommes en septembre 1913. Deux ans auparavant, les oiseaux mécaniques et les pilotes de la course Paris-Madrid ont démontré tout l’intérêt du plus lourd que l’air, pour ne pas dire sa supériorité, sur les dirigeables. Une nouvelle filière industrielle dominée par la France qui donne une avance conséquente, dans les airs, sur une Allemagne qui a fait le choix du dirigeable. De quoi se rassurer face à la concurrence Franco-Allemande de plus en plus âpre, l’intensification des bruits de bottes dans les balkans et la situation explosive en Alsace-Lorraine.

 

Dans cette atmosphère internationale troublée, la Côte Basque est de plus en plus prisée. En particulier, Saint-Sébastien, grâce à l’étape de Paris Madrid, est reconnue dans l’Europe entière et Biarritz est devenu un lieu de villégiature pour les familles princières Anglaises et Russes. Quant à Hendaye, elle est en plein développement. Son nouveau quartier de la plage, s’est urbanisé sous l’impulsion d’un architecte paysagiste visionnaire. Il est prisé par une clientèle aristocratique espagnole, restant ainsi en proximité des centres de pouvoirs décentralisés, pour l’été, à Saint-Sébastien. Toutefois, à la vue des sommes investies et de ses ambitions, il a besoin pour accéder au rang des stations balnéaires telles que Biarritz, Saint-Sébastien ou Brighton de garder sa clientèle actuelle et de s’en créer une nouvelle. Deux objectifs passant par une animation suivie et l’offre d’évènements remarquables.

 

Le besoin d’un équipement culturel « point de contact »

Parallèlement, les promoteurs constatent, l’indifférence réciproque des locaux et des « villégiaturants ». Ils vivent pendant la saison côte à côte sans s’intéresser l’un à l’autre et sans se comprendre, l’âme basque « abritée derrière les jalousies de sa langue millénaire »[1] étant hermétique aux non-initiés. Henry Martinet, pressentant que cet état de fait recèle un danger pour l’avenir, est à la recherche d’un équipement culturel, « point de contact entre l’âme Euskarienne et les âmes si diverses des touristes »[2]. Ses réflexions, son génie de paysagiste et les recherches immobilières de Pierre Loti, le conduisent à imaginer la création d’un « Théâtre de la Nature » sur une colline dominant la mer et la baie de Tchingudi tout en abritant un amphithéâtre naturel. Sa localisation correspond aujourd’hui à la Fondation MG – Village Vacances Sascoenea. On y accédait par un chemin partant de l’actuelle route du Général Leclerc. Un chemin devenu la rue des rosiers[3].

[1] Pierre Lhande Heguy « Le théâtre Basque de plein air : Maïtena »

[2] idem

[3] La localisation a été trouvée grâce au recoupement des descriptions, poétiques mais précises, contenues dans les diverses études et les journaux rendant compte de cette manifestation

Disposition du théâtre de la nature – actuellement Camping.jpg
Disposition du théâtre de la nature – actuellement Camping.jpg ©
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Un équipement innovant pour la Côte Basque mais qui tout en s’inspirant des théâtres de l’Antiquité, renvoie également à l’esprit des Pastorales de la Soule. Restera à créer des œuvres ayant la double qualité de faire comprendre aux étrangers à la région, les coutumes de la société basque tout en restant en phase avec le lieu.

 

Cet œuvre existe.  Il s’agit d’un opéra au profil correspondant ayant eu un grand succès à Bilbao mais jamais représenté au Pays Basque Nord. Il s’agit de Maïtena dont le livret a été écrit par Etienne Decrept et la musique composée par Charles Colin.  Henry Martinet a ainsi une œuvre régionale susceptible d’attirer la foule le jour de l’inauguration. Il décide d’investir 10 000 F malgré les prédictions très pessimistes. Il actionne ses réseaux parisiens et locaux afin de mobiliser des artistes de qualité. Le rédacteur du livret traduit les paroles du basque au français en prenant garde que ce dernier préserve certains particularismes locaux, afin de faire croire au villégiaturant qu’il arrive à comprendre le basque, en ces temps-là nommé l’Euskarien.  

Simplement quinze jours ont été nécessaires pour réaliser les installations. La scène, adossée au bois la protégeant des vents venus de la mer est installée le long du chemin. Le décor est copié sur celui de Bilbao ; une maison, étonnamment de type Biscayen, faisant face à une immense croix partiellement recouverte de mousse. Sur les côtés, dans les frondaisons sont installées des loges réalisées avec des branches d’arbres. L’amphithéâtre naturel y faisant face comporte au bas, des rangées de chaises réservées aux personnalités, puis en remontant des bancs. Les arbres tout autour dispensent leur ombre rafraichissante.

 

L’inauguration du Théâtre Basque

Le 22 septembre 1913, est le jour attendu de l’inauguration. La représentation est donnée au profit des sinistrés des crues de la Nive et de la Bidassoa, soulignant et concrétisant ainsi, l’Entente Franco-Espagnole voulue par les gouvernements respectifs des deux pays. Dès le début de l’après-midi, sous un soleil radieux, une longue file de piétons remonte le chemin sur lequel on a tendu, entre deux poteaux, une toile blanche avec l’inscription « Théâtre Basque ». Au bas, le long de la route reliant la ville à la plage, les rutilantes voitures de maitre, se garent tour à tour. Un ancien hendayais, avouera à un journaliste, que dans ses rêves les plus fous, jamais il n’aurait pu imaginer une telle foule sur cette colline, un de ses terrains de chasse favori, et de telles voitures garées, en nombre, sur cette route.

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A 15h, le spectacle débute. La cinquantaine de choristes de l’Orfeon Donostiarra et de la Sociedad Coral de Bilbao est à l’œuvre dirigée par le Maestro Gallini. Les interprètes, tous reconnus, venus de l’Opéra de Paris, de l’Opéra-Comique, de l’Opéra de Marseille et du Manhattan Opera House font admirer leurs jeux. Leurs costumes renvoient au monde du travail agricole, sauf celui du pelotari Eloy, tout habillé de blanc. Le public est séduit par une œuvre qui lui semble-t-il lui lève un coin du drap lui cachant la réalité de l’âme et des coutumes basques pour les uns et pour les autres relève les vraies valeurs nationalistes. Une œuvre simpliste illustrant le pouvoir patriarcal au Pays Basque, toujours gagnant et la soumission à la religion[1]. Une moralité qui sera de moins en moins bien accueilli au fil des ans et de l’évolution des meurs. Alors qu’elle fit un triomphe lors de sa première en mai 1909 à Bilbao, une quinzaine d’année plus tard elle eut un succès mitigé dans la même ville.

 

Mais sans anticiper, revenons à notre journée du 22 septembre 1913.  Quelques instants après son commencement. La marche royale espagnole retentit en l’honneur du roi Alphonse XIII prenant place au premier rang. Erreur, il y a confusion. Point de roi, c’est le Sous-secrétaire d’état Français Leon Berard accompagné du Préfet Coggia. La Marseillaise est jouée et entonnée par un public debout. Cet épisode terminée la représentation peut reprendre devant un parterre de personnalités telles que le Sénateur Forsans, Maire de Biarritz, le Député Garat, Maire de Bayonne, les maires de Fontarabie et Irun. De plus les 2000 places sont toutes occupées. On estime que 500 curieux à la « bourse plate » y ont assisté depuis les bois alentours. Une assistance remarquable, étant donné que se déroulait, en même temps, à Saint-Sébastien, dans le cadre enchanteur de la Concha, un meeting d’hydroplanes. La pièce se termine par l’interprétation de Gernikako Arbola par l’Haspendar Guy Cazenave, devant un public debout découvert et silencieux. 

[1] Pour l’analyse qui n’est pas l’objet de ce papier de l’œuvre lire les textes de Natalie Morel Borotra (2012) et Pierre Lhande (1913)

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On reconnait le chemin aujourd’hui rue des Rosiers..jpg ©
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Le décor

(Photographie provenant du livre de l’Abbé Michelena)

 

La scène de la berceuse (2).jpg
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(Photographie provenant de l’article de Mme Natalie Morel Borotra - Un opéra Labourdin à Bilbao : Maïtena de E. Ducret et C. Colin

 

Le secrétaire d’état et le public sont enthousiasmés. Face au nombre de réservations non-satisfaites et un tel succès, Henry Martinet décide de programmer le 28 septembre une seconde représentation. Mr Berard, Sous-secrétaire d’Etat, utilise toute son autorité pour que les institutions concernées permettent à leurs artistes de rester une semaine supplémentaire à Hendaye. Les personnalités locales y seront encore présentes. Passant à Hendaye, en route pour Saint-Sébastien, Mr Barthou, Président du Conseil, met à profit ce rassemblement pour s’enquérir de l’opinion des édiles locales.

 

La Foncière du Sud-Ouest et de Hendaye ne compte pas s’arrêter à ce coup de maître. Plusieurs autres œuvres sont programmées pour l’été 1914. Malheureusement se présente la première guerre mondiale, il n’est plus question de représentations culturelles. La paix revenue, les priorités sont toutes autres. Panser les plaies, retrouver l’envie, relancer la station balnéaire, s’atteler à de nouveaux projets tels la route de la Corniche, l’hôtellerie d’Haïçabia, le tramway sont dans tous les esprits. Le théâtre Basque devient éphémère et s’endort pour toujours.

                                                                                                                               Jacques Eguimendya

                                                                                                                      Président Passion-Txingudi     

Références :

Eusko Ikaskuntza :

            Pierre Lhande « Le théâtre basque de plein air » 1914 – 1918

            Natalie Morel Borotra « Un opéra labourdin à Bilbao : Maïtena d’E. Decrept et  C. Colin » 1993

Natalie Morel Borotra – Les colloques de l’Opéra Comique – Exotisme et art lyrique –

« Ainsi étaient nos arborigènes : l’opéra basque au tournant du 20ème siècle »

Abbé Michelena - Histoire de Hendaye

Coemedia 18 septembre 1913

L’Indépendant des Basses-Pyrénées 25 septembre 1913

Pyrénées et Océan 2,7,23 septembre et 12 octobre 1913

La Voz de Guipuzcoa 23 septembre 1913

El Pueblo Vasco 21 et 23 septembre 1913

El Diario Vasco 23 septembre 1913

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