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Quand le 15 août était ferré
Quand le 15 août était ferré
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| Jacques Aguimendya 997 mots

Quand le 15 août était ferré

15 août 1864, c’est l’inauguration à Saint-Sébastien de la ligne de chemin de fer Paris-Madrid.

En ce temps-là, le 15 août n’était pas le 15 août…contemporain. Point de célébration de l’Assomption, point de Semana Grande, mais une grande effervescence sur la Côte Basque. Tant en France qu’à Saint-Sébastien, c’est la fête. Ici on célèbre la Saint-Napoléon, là-bas, celle qui va devenir la capitale d’été de l’Espagne a revêtu ses plus beaux atours et est envahi par une foule venant de tout le Guipuzcoa.

Ce 15 août 1864, c’est l’inauguration à Saint-Sébastien de la ligne de chemin de fer Paris-Madrid. Mais pour en arriver là, les Frères Pereire et leurs compagnies de chemin de fer, la Compagnie du Midi et la Compania del Norte ont dû franchir de nombreux obstacles, tant administratifs, technologiques que financiers.

Tout d’abord il a fallu choisir un tracé, enjeu primordial pour bien des collectivités. Pampelune ou Saint-Sébastien en-deçà des Pyrénées, les Aldudes ou Hendaye de ce côté-ci. Finalement les considérations économiques ont prévalu, les administrations ont opté pour le passage par Saint-Sébastien et Hendaye-Irun. Cela n’a pas empêché des combats d’arrière-garde, notamment par les militaires, les uns imposant un différentiel d’écartement pour prévenir un envahissement français, les autres multipliant les exigences dans la traversée de Bayonne.

Les obstacles techniques se sont concentrés dans le nord de la partie espagnole de la ligne, notamment la section Olazagutia – Beasain, ayant nécessité de nombreux tunnels et viaducs. De surcroit, les entreprises locales contractées n’ont pu assumer leur part de travail par manque de compétences et de moyens techniques.

Heureusement le réseau des Saint-Simoniens a fonctionné. Les entreprises françaises, telle Gouin, s’étant faites remarquées dans le percement des tunnels dans les Apennins sont venues à la rescousse avec leurs personnels italiens spécialisés…emmenant avec eux le Triki-Trixas, instrument de musique très vite adopté et diffusé dans toutes les fêtes locales. En même temps, Monsieur Joseph Ravel, inventeur prolifique est recruté et s’installe à Ciboure avec les conséquences musicales que nous connaissons.

Quant à la réussite du financement de la ligne, elle résulte de l’audace de la Diputacion de Guipuzcoa qui n’hésite pas à lancer un emprunt et à la mobilisation de la communauté juive de Bayonne qui entraine les investisseurs internationaux.

C’est donc avec la satisfaction d’avoir vaincu tous ces obstacles que les Frères Pereire, en compagnie des autorités locales, accueillent en gare de Saint-Sébastien les quatre trains provenant de Madrid et Paris, ornés des drapeaux Français et Espagnols. Côté espagnol, le train royal précède celui des invités. Côté français les trains d’invités arrivent de Paris et de Bordeaux non sans avoir été émerveillés par le renouveau des Landes, le petit-déjeuner de Morcenx et le pont international sur la Bidassoa, mais déçu par l’absence de cabinets de toilette au changement de train en gare d’Irun.

A midi, les locomotives des deux premiers trains se placent face à face. De l’un descend le Roi Consort François d’Assise, de l’autre les invités français de marque et les journalistes tels que Théophile Gautier. Le Roi Consort est réceptionné dans une tente construite à cet effet au pied de sa tribune. La bénédiction peut commencer. L’évêque de Vitoria bénit les locomotives du haut de l’hôtel faisant face à la tribune royale.

Le Te Deum chanté pour la première fois par un chœur mixte accompagné par la musique militaire, est rapidement interrompu par François d’Assise.

Issac Pereire souhaite la bienvenue au roi – consort et s’épanche sur les bienfaits du libre-échange. En son for intérieur, ce théoricien du Saint-Simonisme devait jubiler. Le Roi Consort prononce quelques mots que la postérité n’a pas retenu, se fait présenter les ingénieurs, surtout Ernest Gouin, et invite les personnalités à se diriger vers le lieu des agapes.

Le banquet, prévu pour 700 convives, mais ne réunissant en réalité que 520 invités, se tient dans une tente le long de l’Urumea. Le côté longeant la rivière est resté ouvert pour que les convives puissent suivre les régates s’y déroulant. Le menu fait honneur à la gastronomie française. Officiellement c’est parfait. Plus tard, les langues se délient et un journal anglais « Correspondance Anglaise », avec humour, suppose que ce n’est qu’une répétition, le vrai banquet se déroulant plus tard à la Concorde.

Heureusement pour les convives, Saint-Sébastien après avoir tant fait pour que cette ligne passe chez-elle, a à cœur de fêter l’évènement. Elle revêt ses meilleurs atours. Les balcons sont ornés et enguirlandés. Dans la liesse de cette journée, le passage du Roi Consort, à 15h, est un intermède. Un silence « digne » s’abat sur la ville, percé de temps par un « Viva el Rey »… de français désirant s’attirer l’amitié des espagnols. Le soir la bonne humeur reprend ses droits. Les rues sont illuminées. C’est une des premières fois où le Zesensuskoa (Toro de fuego) est de sortie, répétition avant de devenir l’attraction recherchée de biens de têtes couronnées.

En fin d’après-midi, François d’Assise, en changeant de train à Hendaye avait-il conscience de l’importance de cette journée tant pour les deux pays que pour Saint-Sébastien ? De culture française, s’était-il aperçu des anicroches de cette journée ; drapeaux français absents, silence à son passage dans les rues, escroquerie du traiteur, absence d’invitation pour les femmes, exclusion des journaux espagnols les plus influents du fait de leur opposition à l’intervention française au Mexique.

Pour sa part, Saint-Sébastien, malgré ses sentiments contrastés pour la France, ne tardera pas à capitaliser les bienfaits de cette journée. Reliée à l’Europe, quasi en même temps qu’elle abat ses fortifications et opère une révolution urbanistique, elle entre dans le concert des stations balnéaires réputées, Isabel II accueille Napoléon III et officialise le rôle de capitale d’été de l’Espagne.

Quant à Hendaye qu’elle se soit battue pendant de longues années avec une arrogante Compagnie du Midi, elle s’est retrouvée branchée avec les capitales européennes, en prise directe avec les idées innovatrices portées par cette compagnie de chemins de fer et en mesure de valoriser ses atouts balnéaires et touristiques.

Hendaye le 16 août 2017

Jacques Eguimendya

AGORA-Txingudi 


 

Emile et Isaac PEREIRE
Emile et Isaac PEREIRE © JE
Emile et Isaac PEREIRE
Le Roi Consort François d'Assise
Le Roi Consort François d'Assise © JE
Le Roi Consort François d'Assise
Le banquet
Le banquet © JE
Le banquet
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Gare de Saint-Sébastien en 1863
Gare de Saint-Sébastien en 1863 © JE
Gare de Saint-Sébastien en 1863

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