Tweet Laure DESCHAMPS MABILLE - Le bout du monde @ Saintes_Adresse et la sculpture de Fabien MERELLE (le 4 novembre 2018)
Rapport de la Ciase sur les crimes pédophiles dans l’Eglise en France
Serons-nous « la raclure du monde »,
ou serons-nous à la hauteur du cri des victimes?
La statue géante d'un père portant sa petite fille sur ses épaules est exposée dans la cathédrale du Havre ( voir photo). La sculpture était auparavant postée face à la mer sur la plage du « Bout du monde » à Sainte-Adresse, près du Havre.
Œuvre du sculpteur Fabien Merelle, elle avait été incendiée le 4 mai 2020.
Complètement calcinée après cet acte de vandalisme, elle a été reconstruite et relevée de ses cendres. Et elle a trouvé asile dans la belle cathédrale havraise restaurée elle aussi dernièrement.
Le sens et l’histoire de cette impressionnante statue est symbolique à plusieurs titres en ce jour de la divulgation du rapport de la Commission Sauve sur les crimes pedophiles commis en France depuis 1950 par des ecclésiastiques, des religieux et des laïcs de l’Eglise catholique.
Cette statue géante montrant un père portant sa petite fille sur ses épaules fonctionne en effet comme une parabole. Que dit-elle?
Elle dit que les centaines de milliers de victimes d’actes pédocriminels, commis par des clercs et des laïcs catholiques qui ont abusé sans limites de leur pouvoir masculin et religieux, ont maintenant urgemment besoin d’être relevées, épaulées, et portées par des géants d’empathie, de respect et de bonté. C’est dans la capacité à se montrer à la hauteur de la souffrance des victimes, que sera jugée la capacité de l’Eglise, notre capacité à chacune et à chacun, de se convertir en actes, et par la réforme interne et externe, à l’Evangile de l’amour des victimes, que le Christ Jésus a incarné jusqu’à sa dernière heure sur le bois de la croix.
L’option préférentielle pour les victimes sera notre raison d’être et le moteur de la réforme massive qu’elle exige des institutions et des mentalités, ou bien nous ne l’assumerons pas et nous ne serons alors plus grand chose, nous ne serons plus rien, sinon « la raclure du monde », pour parler comme saint Paul!
Nous serons jugés sur l’amour des victimes, pas sur notre capacité d’indignation, pas sur nos cris de colère, pas même sur notre envie de quitter, un peu lâchement, le navire.
Saint François d’Assise dont c’était hier la fête, n’a pas choisi de se désolidariser et de quitter l’Eglise de son temps qui se vautrait dans le stupre et le scandale: il est resté sur le pont, il a retroussé ses manches pour témoigner et rebâtir. Par colère, mais aussi et surtout par amour!
Oui, nous serons jugés, clercs et laïcs, baptisés hiérarques ou baptisés responsables simplement de nos métiers de femmes et d’hommes, sur notre volonté d’aimer sans peur et sans réserve les victimes. De nous convertir à ce que le Christ nous dit et nous demande par leurs bouches. Et puis d’aider ceux qui n’ont pas encore parlé ou ceux qui ne savent pas en parler. Pour que leur vie ne soit plus un enfer.
Cette statue « Du bout du monde » m’appelle pour ma part à m’efforcer à devenir un géant d’attention et d’écoute pour les victimes qui ont été broyées, laminées, humiliées, violées et transpercées par des criminels qui ont ainsi lacéré sur les visages de ces tout petits le visage de l’Enfant-Jésus.
Être un géant d’amour pour les victimes est donc un préalable non négociable. Le reste, je le crois, comme il est écrit, nous sera donné par surcroît. Si bien sûr, nous avons à cœur, sincèrement, que plus rien ne soit comme avant dans l’Eglise qui nous a été confiée et qui a été dévoyée, défigurée et sévèrement discréditée par la faute de coreligionnaires.
Les victimes de ces crimes odieux perpétrés dans l’Eglise catholique nous exhortent à être des géants de l’écoute aux épaules courageuses, des réformateurs assidus et résolus et des hommes et des femmes de foi vivant au cœur du monde, avec des cœurs de pauvres!
Michel Cool
5 octobre 2021
Ceinturons de prières notre Église, nos évêques, nos prêtres,
nos religieux, nos séminaristes, tous les consacrés et les laïcs...
En ce mardi gris d’octobre, j’ai continué mon travail comme une bête de somme traçant le labour sous la pluie froide. J’ai poursuivi en essayant de ne pas trop me retourner, de ne pas perdre le rythme du cheval de trait qui sait qu’il ne doit pas s’arrêter au milieu du sillon. Et pourtant, Dieu sait si j’ai eu envie de lâcher l’attelage, accablé par le rapport de la CIASE rendu public ce matin. Dieu sait si j’ai souvent pensé aller, toutes affaires cessantes, me réfugier dans l’église voisine, fermer la porte et pleurer devant Dieu pour tant de misère.
Aujourd’hui j’ai continué mon travail, la honte au front et le cœur brisé ; j’ai continué parce que je ne pouvais pas laisser seul le vieil homme qui attendait de recevoir l’onction des malades, ni renoncer à visiter une famille endeuillée, ni oublier ces fiancés préparant leur mariage. J’ai continué avec toutes ces questions se bousculant en moi : Pourquoi ai-je voulu devenir prêtre ? Pourquoi me suis-je mis au service de cette Église dont j’ignorais tout de la face hideuse qui est révélée au grand jour ? A l’époque, aurais-je répondu de la même manière, si j’avais su ?
Aujourd’hui j’ai continué à poser les gestes du ministère en faisant le dos rond, portant dans ma prière douloureuse les milliers de vies brisées et les silences complices : les victimes et les bourreaux. J’ai fait le dos rond, sentant autour de moi, la suspicion portée sur mon habit de prêtre et l’état de vie que j’ai choisi : le célibat. Ce célibat qui depuis 25 ans, je dois le dire, m’a procuré bien plus de joies que de peines.
Aujourd’hui j’ai continué tant bien que mal à rejoindre des personnes en attente d’une parole ou d’un geste, j’ai continué à faire mon métier de prêtre. Et si ce n’était qu’un métier, je pourrais au moins démissionner et chercher à gagner autrement ma vie. Mais voilà… on devient prêtre par amour du Christ et de son Église. Et l’on ne quitte pas celle que l’on aime simplement parce qu’un matin ténébreux, elle nous apparaît laide. On ne la quitte pas même si l’on se découvre soudainement éclaboussé par sa laideur.
Aujourd’hui, j’ai continué à répondre au téléphone et aux nombreux messages quotidiens de celles et ceux qui cherchent un peu de lumière dans l’ordinaire de leur vie ou dans les drames profonds qui les traversent ; j’ai continué en me demandant pourquoi il me fallait porter le poids d’un péché commis par d’autres, porter au front la honte de ce que je n’ai pas commis. Sans doute cette douleur nous rapproche t-elle un peu des victimes d’abus sexuels qui, plus que tout autre, payent pour un crime qu’elles n’ont pas commis. Peut-être nous rapproche t-elle un peu de notre Seigneur Jésus Christ qui, d’une manière unique, a payé pour les péchés qu’il n’a jamais commis.
J’ai continué en priant de tout mon cœur pour les innombrables victimes de ces prêtres prédateurs qui ont usé d'une si belle vocation comme d'un filet de chasseur pour mieux capter leurs proies. J’ai continué en priant aussi pour tous ceux qui seront pris par l’envie de quitter le navire de l’Eglise. Bruyamment ou sur la pointe des pieds. J’ai continué pour résister à l’illusion qu’en nous éloignant des bourreaux nous serions innocentés de tout mal. J’ai continué en m’efforçant de ne pas déserter le champ de bataille. Or le champ de bataille, ce n’est pas seulement l’Église salie par la faute de ses membres ; le champ de bataille est en chacun de nos cœurs. Le mal n’est pas seulement chez l’autre ou chez les autres ; le mal est en chacun de nous, sous des formes diverses certes, mais il est là, tapi comme une bête sauvage qu’il nous faut dominer. J'ai continué en essayant de ne pas déserter mon coeur meurtri.
Christian de Chergé, moine de Tibhrine en Algérie, assassiné en 1995, écrivait quelques mois avant sa mort : « J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice moi aussi, du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde ». Lui le saint ! Lui, l’homme de paix, se reconnaissait complice du mal qui allait pousser ses propres bourreaux à le tuer. Et il priait pour eux… C’est peut-être cela la sainteté : ne pas se croire innocent d’un mal reconnu chez les autres, même le pire ; savoir que le vrai combat se joue à la porte de notre cœur.
Aujourd’hui j’ai continué à pédaler sous la pluie et dans le vent froid d’automne pour aller célébrer la messe avec quelques fidèles aussi blessés que moi par cette dure réalité. Ensemble nous avons célébré le mystère du Christ mort pour nos péchés ; lui l’innocent, mort pour sauver le criminel. Et ensemble nous avons crié vers Dieu : « délivre-nous du mal » !
Aujourd’hui, en ce sombre mardi d’octobre, j’ai continué à être prêtre parce que je sais que cette mission est plus grande que moi et que je n’en serai jamais digne ; j’ai continué à donner Dieu aux gens que je rencontrais, ce Dieu que je ne possède pas mais qui, un jour, s’est saisi de mes pauvres mains d’homme pour se donner au monde. Aujourd’hui, j’ai continué à être prêtre par amour du Christ et des hommes qu’il aime.
Pierre Alain Lejeune
5 octobre