Le Passage en 1774
de saint Benoît-Joseph Labre
à Hendaye
« Saint Benoît-Joseph Labre, pèlerin de l’absolu »
« Loués soient Jésus et Marie », c’est par ces mots jadis, que notre Ami, le saint vagabond, a salué toutes les personnes qui l’ont reçu avec générosité chez eux, que ce fut pour le couvert ou tout simplement pour passer la nuit.
Chères paroissiennes et chers paroissiens d’Hendaye, cher Père Jean-Marc Lavigne, merci pour votre chaleureux accueil en pays basque lors de ma visite le 21 février dernier.
Je suis le frère Alexis (frère de la fraternité Saint Benoît Labre) que je représente, aujourd’hui ainsi que l’association canadienne « les Amis de saint Benoît Labre » et l’association saint Benoît Labre du sanctuaire d’Amettes, village natal du saint Pèlerin.
Je suis très heureux de répondre à l’invitation du Père Lavigne me demandant de vous conter les grandes lignes de la vie de mon illustre compatriote du Pas-de-Calais, le saint artésien, Benoît-Joseph Labre.
Tout d’abord, chers amis d’Hendaye, ma fonction de frère Labrien au sein des différentes associations m’amène depuis quelques années à partager et à faire partager les parcours de sa vie itinérante très particulière…
Tout au long de notre existence, Dieu, au travers de ses Saints, nous propose son amitié. Ainsi les frères et les sœurs de saint Benoît Labre, en priant pour le monde, entrent dans cette intimité qui a conduit petit à petit Benoît-Joseph vers Dieu. Pour nous disciples du saint, l’amitié est une réponse à l'amour de Dieu. Nous voyons et aimons Dieu à travers nos prochains. Le charisme labrien nous apprend à aimer le pauvre sans haïr le riche, avec un cœur tendre et fraternel, nous sommes les enfants de Dieu, riches ou pauvres.
Pour les différentes associations que je représente, le mot « Caritas », la charité, désigne à lui seul notre appartenance à cette chaîne d’amitié, les Amis de Saint Benoît Labre. Cette grâce nous pousse à simplement désirer le bien de l'autre, notre prochain.
Saint Benoît-Joseph Labre est une figure toujours actuelle au sein de notre Église. Il continue, de nos jours, à inspirer de nombreuses personnes. Nous pouvons ainsi constater que, partout dans le monde, se trouvent des instituts de vie consacrée, des œuvres caritatives, des lieux de dévotion, oratoires, paroisses, villages, etc. dédiés au saint Pèlerin.
Ainsi voit-on en France de nombreuses associations qui évaluent à 35 000 le nombre de personnes qui visitent chaque année la maison natale du Saint à Amettes.
Mais aussi aux États-Unis d’Amérique à Ashland dans le sud-est du Montana dans une réserve indienne, il existe une école qui dispense l'éducation primaire et secondaire aux Amérindiens Cheyennes et Crow du Nord, et ce, sans distinction d'allégeance religieuse : « L’école indienne Saint Benoît Labre ».
Il existe en Italie l'Institut des Sœurs oblates de saint Benoît-Joseph Labre, en Allemagne, à Munich, une famille spirituelle sous le vocable des Frères et Sœurs de saint Benoît Labre, au Canada dans la région de Chaudière-Appalaches (au diocèse de Québec) le village Saint Benoît Labre, au Canada toujours dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue (diocèse d’Amos) au nord du Québec, les Amis de saint Benoît Labre et la Fraternité Apostolique Saint Benoît-Joseph Labre, sans compter les très nombreuses paroisses de par le monde, placées sous son vocable, etc., etc.…
Saint Benoît-Joseph Labre, pèlerin de l’absolu, voyageur sans bagages, l’essentiel pour lui était de se mettre en route à une époque, le 18ème siècle où il n’y avait pas encore d’automobiles. La route, et surtout les chemins appartenaient encore aux piétons. Il y avait des charrettes et des cavaliers, et, sur les grands axes, des voitures, des coches et des carrosses ; mais on avait le temps de se garer et l’on pouvait cheminer longuement sans courir le risque quotidien d’être écrasé. Il ne manquait pas de larges espaces quasi déserts ; mais, sur les grands chemins, le peuple de la route était assez nombreux pour qu’on ne soit pas aussitôt remarqué. Il y avait même encore, parmi toutes sortes de vagabonds, assez de vrais pèlerins pour qu’on ne s’étonnât pas outre mesure d’un accoutrement de chrétien pénitent, sans doute en route vers quelque sanctuaire ou pour l’accomplissement d’un vœu. Tel apparaît, en l’une de ses images les plus typiques, celui qui allait devenir saint Benoît-Joseph Labre, qui mérite d’être appelé le grand saint du siècle des « Lumières », suscité par Dieu…
Il va, absorbé dans son recueillement, toujours seul, vêtu d’une vieille tunique monastique, ceinturé d’une corde franciscaine, portant un grand rosaire autour du cou, un tricorne usagé et des souliers trop grands ; il ne se sépare pas de la besace où se trouvent un Nouveau testament, une Imitation de Jésus-Christ et le bréviaire usé qu’il aime dire ou même chanter. Certes au 18ème siècle les chemins de traverse ne sont pas sûrs et les brigands les fréquentent aussi. Les riches notables pour transporter leurs biens se pourvoyaient d’une escorte armée…
Mais que peut craindre un gueux, dont l’aspect suffit à faire comprendre que sa besace ne contient aucun trésor monnayable, celui-là voyage tranquille pauvre d’une pauvreté qui n’est pas imposée par le sort, mais choisie, aimée en elle-même, au point d’être le seul trésor dont il ne veut pas se séparer, y’a-t-il au monde un être plus libre que lui ?
Il lui arrivera d’être houspillé par des gamins, une fois ou l’autre d’être rossé par des brigands qui se paient ainsi de n’avoir rien trouvé à lui prendre. Ce sont des petits inconvénients à côté de cette immense liberté d’un cœur tout attaché à Dieu et qui n’aspire qu’à sa rencontre. A sa sortie de l’abbaye de Sept Fons, Benoît-Joseph Labre va lentement découvrir ce Dieu qui marche avec lui… il nous rappelle que ce qui compte le plus, dans un pèlerinage, c’est moins l’enthousiasme du départ que la fidélité du pèlerin à porter chaque jour le poids sa besace. Dieu est le commencement et la fin de ce grand voyage qu’est l’aventure humaine. Nous sommes tous, enfin, des voyageurs, des passagers en transit sur cette terre, même si nous sommes parfois tentés de nous y installer confortablement. Benoît Joseph Labre ne nous délivre pas de message compliqué. Il nous propose tout simplement de faire ce que lui-même a fait : partir à la suite de Jésus ressuscité, et patiemment, jour après jour, mettre nos pas dans les siens. Ce voyage-là, je vous l’assure, peut mener loin…j’en témoigne, chers paroissiennes et paroissiens.
Ce curieux pèlerin avait ceci de particulier qu'il ne semblait jamais pressé d'arriver à son but, sa course était sinueuse, avec des retours, des détours incompréhensibles, des stations prolongées dans des localités jugées parfois sans intérêt. Il vagabonde de village en village, de sanctuaire en sanctuaire. Désormais c'est « ailleurs » qu'il vit, dans l'errance et le pèlerinage perpétuel. Il ne cherche plus à se fixer. Son monastère est la route et Dieu son seul compagnon de prière.
On le voyait s'engager dans les sentiers les plus abrupts, gravir des collines sous un soleil de feu, comme pour le plaisir de suer et de se donner mal à la tête.
Pèlerin, il l'était pourtant, et à un point qu'on pourrait dire chronique. C'était même cela qui ralentissait sa marche et rendait ses itinéraires si compliqués. Il ne lui suffisait pas du rendez-vous final. Il y avait, ici et là, bien d'autres lieux saints, des débris de signes et d'images qu'il lui fallait visiter : chapelles, reliques oubliées, croix de carrefour, tombeaux, tout ce qui constitue sur la terre le signe visible de l'Église.
Lorsqu'il visitait un sanctuaire, à ceux qui lui demandaient avec compassion comment il en était arrivé là, lui qui semblait avoir de bonnes manières, laissait entendre : Que telle n'avait pas été sa vocation, mais que Dieu l'avait voulu pèlerin.
Jeune homme, il avait rêvé de la vie la plus sédentaire, celle du cloître. Ses premières longues courses, c'est vers des couvents qu'elles le conduisent, où il espère s'enfermer jusqu'à sa mort pour devenir plus sûrement un saint. Mais dès que les grandes portes des monastères se sont refermées sur lui, une angoisse inexprimable le gagne. Il dépérit, devient fiévreux, languissant, et c'est l'inévitable :
«Mon fils, Dieu ne vous veut pas ici. » « Dieu vous veut ailleurs » Plus fort que sa volonté propre, c’est Dieu qui le pousse sur les chemins de traverse où bientôt il s'abandonne. Il sera de ces errants sans foyer que le monde voit depuis des siècles, sur les routes. Il ignore qu'il sera plus que cela, chargé d'une prédication à l'Europe.
En sept ans, de 1770 à 1777, il aura parcouru depuis la France près de 33.000 kilomètres d'un sanctuaire à l'autre, en Italie, en Espagne, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, vivant dans le plus extrême dénuement, partageant avec les pauvres, les soupes populaires et les humiliations. Partageant le produit de sa mendicité avec d'autres pauvres, ce qui lui vaut une réputation de sainteté.
Afin d’écrire une publication intitulée « Mes chemins de Traverse », je me suis rendu au pays basque, dans votre beau village d’Hendaye où la tradition historique atteste d’une trace officielle du passage de saint Benoît-Joseph Labre suivant le Camino del Norte, un chemin très peu fréquenté et conduisant en Espagne.
Le curé d’Hendaye à l’époque s’appelait l’Abbé Léon Galbarret, il le reçut dans son presbytère, situé à l’orée du chemin de Zubernoa, l’actuelle rue du commandant Passicot. La maison Dravasa qui possède encore ses bancs de pierre où le saint pèlerin sollicitait l’aumône afin d’avoir l’argent nécessaire pour franchir la Bidassoa avec le bac de Santiago. L’abbé Galbarret le consigna dans les annales de sa paroisse Saint Vincent d'Hendaye décrivant le fait marquant du passage du saint, anecdote que nous redécouvrons aujourd’hui.
En outre, la paroisse Saint Vincent possède un tableau de Benoît-Joseph Labre, réplique parfaite d’un tableau peint à Rome en 1777 par le peintre André Bley. En effet, Benoît-Joseph Labre, cet extatique qui passait de longues heures dans les églises romaines, priant debout, étonnamment immobile, son seul regard laissant deviner ce qui l'habitait, avait au moins attiré l'attention de ce peintre qui effectivement le prit pour modèle. Bley l'aborde et le convainc de poser pour lui. André Bley qui, dans une lettre adressée à son frère en 1783, après la mort de Labre, décrit ainsi les circonstances de leur rencontre : « En l'année 1777, lorsque je méditais le grand tableau de la vocation de saint Pierre, [. . .] je rencontrai dans une rue de Rome un jeune homme mis en mendiant qui portait une petite barbe rousse. J'observais cet homme et pensais que sa tête pourrait bien me servir pour celle du Christ que j'avais à faire ».
Votre paroisse possède donc une copie de l’original peint par Bley du vivant du Saint, en atteste la date apposée sur le dos du tableau. Elle marque l'année 1787 (il y a donc deux siècles). Ce tableau exceptionnel, rare, copie d’un original très célèbre représentant saint Benoît-Joseph Labre. Au dos du tableau, vous avez l’origine de ce portrait exécuté sur l’ordre de Madame Antoinette-Rosalie de Loyac la Bachelerie de Chaudon, née et baptisée le 18 septembre 1738, à Chaudon (Eure-et-Loire), diocèse de Chartres. Elle était la fille de Jean-Baptiste-Antoine de Loyac et de Marie-Claude Grenet de Châtillon. Elle décédera dans l’admiration de tous le 14 juin 1787. Son blason se décrivait ainsi : d'azur, au chevron d'or, surmonté d'un croissant d'argent et accompagné en chef de deux étoiles d'or, et en pointe d'un cygne d'argent becqué et membré de gueules. La famille de Loyac, Seigneurs de la Chassaigne, de Mormoulin, de la Bachellerie, de la Veix, de la Fage, de Puy-Donnarel, de Chaudon, de Malaret, est originaire du Limousin, puis fixée en Beauce, diocèse de Chartres. Cette maison est une des plus anciennes dans l'ordre de la noblesse des provinces du Limousin et de Beauce; elle a rendu des services distingués à la France et fourni des officiers généraux et des capitaines expérimentés aux armées du roi, des gouverneurs de citadelles et de la Bastille, des gentilshommes de la chambre du roi, des pages du duc d'Orléans, régent du royaume et des chevaliers à l'ordre souverain de Saint-Jean-de-Jérusalem (Malle) et à l’ordre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel et de Saint-Lazare; elle a été maintenue dans sa noblesse d'ancienne extraction le 28 octobre 1697, par jugement de M. de Bernage, intendant de Limoges, et a fait ses preuves par-devant M. d'Hozier, juge d'armes de France, le 10 septembre 1739.
Antoinette-Rosalie de Loyac légua à sa mort ce tableau à l’une de ses amies, Madame Carman d’Hopier. Ensuite une famille le remit vers les années 1950 à l’église Saint Vincent.
À l’issue de ma rencontre avec le Père Lavigne, chers paroissiennes et paroissiens, je lui ai remis une relique, une tuile de la maison natale du saint dans un très beau reliquaire à votre intention ; elle représente une présence, un symbole, un gage d’amitié, reliant notre paroisse d’Amettes, à la vôtre. N’oubliez pas, chers amis, que devant nous, il y a toujours un pauvre : nous avons beau tenter de l’oublier, beau secouer la tête pour chasser l’image, le pauvre est toujours là, le regard fixe, la main tendue, les genoux serrés et frileux. Mais s’il ne fait pas le pauvre, il est quand même pauvre ; même s’il ne parle pas, il demande : il nous demande ce qui dépasse nos besoins pour des besoins qui le dépassent. Le pauvre tend la main pour prendre ce que nous ne voulons pas lui donner, la société le frappe. Il est le miroir dans lequel nous nous reflétons ensemble, parce que lui, c’est nous : le seul pauvre qui tende la main aux autres pauvres, c’est Benoît-Joseph Labre
« Les saints sont là pour nous aider à cheminer sur les traces de Jésus et saint Benoît Labre est l’un de ceux-là ». Benoît-Joseph Labre, inspiré par l’esprit de Dieu, qui a fait de lui le Saint des humbles pour édifier son œuvre et nous pousser à transmettre au monde le commandement qu’il nous a donné « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».
Alors ami paroissien, toutes les fois que tu l'invoqueras devant son portrait, devant cette relique, n’oublie jamais, ami paroissien, dans tes chants, tes demandes, tes prières, sache qu’il saura te défendre et intercéder pour toi, pourrait-il aux malheureux refuser son appui, ami paroissien, sèche tes larmes, car le maître divin du haut des cieux entend nos vœux et je te le dis, ne l’oublie jamais : « Dieu y pourvoit »
Pour conclure, je souhaite, chers paroissiennes et paroissiens, vous transmettre ma conviction que le hasard n’existe pas. Seule existe la Providence, et le projet du Père Jean-Marc Lavigne, votre prêtre, de remettre dans l’église Saint Vincent le portrait de saint Benoît-Joseph Labre n’est pas un hasard. Il est un phare providentiel qui éclaire avec persévérance la foi et le chemin des hommes de bonne volonté vers l’espérance et l’avenir de tout un peuple, DE VOUS PEUPLE BASQUE !
Restons plus que jamais unis, en ce cher Benoît-Joseph Labre, dans la prière et la joie d’être témoin du Christ Ressuscité.
Frère Alexis, fl,
Amettes, 28 février 2017