4ème DIMANCHE DE CAREME C
A travers cette parabole de l’enfant prodigue, Jésus nous a révélé le « visage » d’un Dieu qui est Père ; tout l’évangile d’ailleurs est traversé par cette révélation, à commencer par la prière du « Notre Père ».
Et quand Jésus se faisait proche des pêcheurs et partageait ses repas avec eux, les gestes qu’il posait là révélaient la miséricorde de son Père. Or les religieux de l’époque, scribes et pharisiens, récriminaient contre lui à ce sujet.
Dans la parabole qu’il leur raconte, nous pouvons noter ces quatre gestes successifs du père : il aperçoit son fils de loin ; il est ému de compassion ; il court vers lui ; il l’embrasse.
Disons aussi que le Seigneur nous voit venir parfois de très loin. Comme le Père de la parabole, il est à l’écoute de tout ce qui se passe en nous ; Il est atteint par nos propres malheurs ; et Il nous envoie discrètement des messagers, ou des petits signes, pour nous dire que nous pouvons toujours compter sur lui malgré toutes nos déviations.
La compassion du Seigneur pour nous est première, elle nous devance ; elle est là avant même que nous ayons conscience de nos péchés. Le père est déjà là à nous attendre.
Un père qui serait resté dans une attitude de déception ou de colère aurait pu se refermer sur sa blessure de père trompé et volé.
Au retour inattendu de son fils, il aurait pu dire avec plus d’amertume que d’amour : « je te l’avais bien dit, que ça finirait comme çà » ; ou bien : « c’est bon pour une fois, mais n’y revient pas », ou encore « heureusement que ton frère n’est pas comme toi ».
Non, le père n'a pas attendu les preuves évidentes de la conversion de son fils pour l’aimer ; d’ailleurs, sans même écouter ses excuses, il l’embrasse.
Le Père est rempli d’un amour qui ne désespère pas. Et cet amour, porte en lui la force du renouvellement.
Si le fils revient, c’est bien parce qu'il se rappelle qu’il a toujours été aimé pour lui-même par son père, c’est qu’il a l’intime conviction que ce sont des bras ouverts qui l’accueilleront.
Ceci dit, le récit de l'enfant prodigue n'est pas fait pour justifier l'attitude d'un fils qui a gaspillé égoïstement son héritage. Le père n’a pas justifié les bêtises de son fils ; il le dit bien : son fils était « perdu », il était « mort » ; mais il pouvait retrouver la vie.
Le Père n’a pas coupé les ponts avec son fils, car il a gardé confiance en sa capacité de changer, en l’aimant tout autant que son frère d’ailleurs.
Le fils était au départ dans une dérive où se mêlaient l'inconscience et une grande dureté. Il était polarisé par une seule chose : son désir immédiat ; et pour y arriver, il lui fallait exiger, réclamer, forcer la main…Aujourd'hui, il aurait dit : pour "réussir" dans la vie, il faut agir ainsi, sans états d'âme !
Mais, bien vite, le fils s’est découvert de plus en plus malheureux, ignoré, dans un monde qui ne faisait pas de cadeaux. Il s’est aperçu que beaucoup de rêves ou de promesses de bonheur sont trompeuses ; elles introduisent un jour ou l’autre le malheur dans une vie humaine : plus encore que le fait de partir loin de chez soi, certains rêves sont plutôt une fuite loin de soi. Toute personne qui s'enfonce dans une dérive, dans le péché, pressent qu’elle n’est plus elle-même : elle en souffre sans toujours savoir pourquoi…et elle fait souffrir tous ceux qui l’aiment.
Donc cette terrible souffrance qui résulte toujours des dérives de la vie, est devenue pour l’enfant prodigue une sonnette d’alarme ; ou plutôt un appel vers la vie ; vers cette vie libre, aimante et joyeuse que son père l’avait aidé à construire jadis. Ce jeune en galère a redécouvert, inscrite au fond de lui, la façon dont son père l’avait aimé, lui avait toujours fait confiance, avant sa fugue… jusqu’à le laisser libre aussi de partir de la maison en semblant tout oublier, pour faire sa vie.
Le fils qui revient après avoir été tenaillé par la faim, nous rappelle l’Exode, ce moment d’épreuve dans le désert, où le peuple a fait l’expérience du dénuement et de la faim.
Pendant ce carême, notre Exode annuel, en quelque sorte, le Seigneur peut nous aider à prendre conscience de nos véritables faims, et des détresses inavouées qui sont en nous, des chemins sans issue sur lesquels nous nous sommes évadés de nous-mêmes.
L’Exode préparait la Pâque, le grand passage à un monde nouveau, de l’esclavage à la libération ; de l’Egypte à la Terre promise de Canaan.
Nous préparons aussi pour nous ce grand retour de vie qu’est Pâque : la résurrection du Christ, notre résurrection, notre retour à la vie nouvelle en Christ.
Le retour de l'enfant prodigue s’est achevé par une fête. A quoi servirait de pardonner si celui qui est de retour n’est plus considéré ? En pensant : « de toute façon il risque bien de recommencer ! Alors méfiance ; il faut le surveiller, ce lascar. »
L’enfant prodigue ne retrouvera plus l'argent dépensé et gaspillé de son père ; il retrouvera la santé par contre. Mais surtout, oh oui, surtout, il retrouvera les yeux de son père, la façon dont son père le regarde : et cela va le construire et le faire sortir de lui-même.
Et ce qu’il va construire désormais sera pour lui comme une nouvelle naissance, et elle lui permettra de ne pas être enfermé dans son passé.
Réfléchissons à tout cela… laissons-nous prendre nous-mêmes durant ce carême par le désir intense de nous laisser réconcilier par notre Père qui, avec toute sa tendresse, nous attend.
Amen