28ème DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE C
Les débats de cet été en France autour du burkini sont passés à côté d’un enjeu fondamental : la question du pur et de l’impur. Les interdits juifs et musulmans concernant la cuisine, l’alimentation, les vêtements et tant d’autres comportements quotidiens ont une obsession quasi pathologique : la pureté rituelle.
Des ablutions au voile en passant par bien d’autres pratiques rituelles l’islam et le judaïsme orthodoxe enserrent le croyant dans une multitude d’obligations pratiques très contraignantes. Dont le but est de rester pur aux yeux de Dieu.
Notre évangile se situe dans ce contexte où la maladie contractée – ici la lèpre – devient source d’impureté qui exclut de la vie de la communauté.
Dans un premier temps, Jésus semble respecter cette mentalité : il reste à distance des lépreux pour ne pas devenir impur à leur contact, il les renvoie aux prêtres pour faire constater la guérison et ainsi être réintégrés.
Heureusement, le 10° lépreux, constatant lui-même sa guérison en chemin, fait demi-tour au lieu d’aller voir les prêtres de Jérusalem. C’est donc que pour lui, Jésus est le grand prêtre qui peut le déclarer pur. Ce n’est plus la loi (juive ou musulmane) qui fixe les frontières de l’impur, c’est le Christ en personne.
Ce 10° lépreux souffrait d’une deuxième impureté, sociale celle-là, que les prêtres de Jérusalem ne pouvaient absoudre : il était samaritain, hérétique ! Double peine en quelque sorte : lépreux et hérétique. Cette double impureté ne tient pas devant le Christ, lui qui a déclaré purs tous les aliments et est devenu le champion d’une fraternité universelle.
Pour être guéri, plus besoin de rites compliqués ou mystérieux : la confiance en chemin est le vrai remède à nos lèpres, de toutes sortes.
Un seul des 10 lépreux revient se prosterner au pied de Jésus. Lui seul a épousé la foi chrétienne. La guérison n’est donc pas identique à la foi !
Qu’est-ce qui fait passer de la guérison à la foi ? La gratitude ! Le sentiment de reconnaissance, l’action de grâces, le merci à celui qui nous a sauvés. Faire de sa vie une eucharistie a exactement ce sens-là : reconnaître avec gratitude les dons reçus gratuitement, prendre le temps de le célébrer devant Dieu, ne pas s’arrêter à la seule jouissance des guérisons obtenues, remonter à leur origine pour ne jamais se couper de la source qui nous abreuve…
« Ta foi t’a sauvé » : les neuf lépreux n’ont pas entendu cette déclaration du Christ. Physiquement et socialement ils vont mieux. Mais ce n’est pas encore le salut. Être sauvé ne veut pas dire aller mieux, mais communier au Christ Sauveur. Bonne santé (richesse, réussite…) et salut sont deux réalités différentes ! À tel point que beaucoup aujourd’hui on l’une sans l’autre, et vice-versa…
À Lourdes, vous pouvez rencontrer des personnes malades, handicapées, qui ne seront jamais guéries, qui iront même de plus en plus mal, et qui pourtant rayonnent du salut accueilli au plus profond de leur être. En sens inverse, nous connaissons tous des personnalités et des célébrités (médiatiques, financières, politiques…) apparemment en pleine réussite et pourtant si peu ‘habitées’.
L’objet de la prière n’est alors pas tant de chercher la santé, la richesse, la réussite etc. que de s’enraciner dans la gratitude, la reconnaissance, la louange.
« Lève-toi et va » : les deux verbes adressés au 10° lépreux sont éminemment symboliques. Le premier est celui de la résurrection : se lever d’entre les morts. Le second est celui de l’itinéraire spirituel : « va ».
Il s’agit bien d’aller (et non pas d’aller bien !) : la marche est essentielle au salut, car celui qui se croit arrivé n’a plus besoin de faire confiance à un autre.
Le drame des pharisiens à l’époque de Jésus est de s’être installés dans la Loi et ses innombrables coutumes. Le drame des islamistes aujourd’hui est de ne pas vouloir interpréter le Coran, en refusant de le resituer dans son contexte historique et social. De tout temps, de tous bords, l’intégrisme est une vérité immobile, qui meurt de ne pas se mettre en mouvement.
En ordonnant « Va ! » au lépreux-samaritain guéri-croyant, Jésus lui dit simplement de continuer son chemin intérieur, d’aller jusqu’au bout de sa quête.
« Va ! » : va vers toi, va vers tes vrais désirs, va ton propre chemin, va vers les compagnons de route qui te seront donnés, va vers l’inconnu où tu te découvriras davantage, va vers ton Dieu sans savoir où le chercher…
Cela s’appelle le salut en marche, en cours de route.
Le philosophe Henri Bergson écrivait : « le seul élément stable du christianisme, c’est l’ordre de ne s’arrêter jamais ».
Ce salut en marche, vivons-le avec dynamisme et dans l’action de grâce !
Amen.