Sans fraternité, que sont liberté et égalité?
La petite fenêtre ouverte sur la fraternité (cf. rubrique précédente Espérer l'égalité) trouve toute son actualité dans la fusillade meurtrière dans une église noire de Chalerston aux Etats-Unis, par un enfant de 21 ans, victime lui-même d'une culture de la haine raciale et des armes. J'écrivais: combien de temps encore pour que hommes noirs et blancs finissent par vivre fraternellement? La loi ne suffit donc pas à régler le cœur de l'homme. Bien plus, ne voit-on pas la loi être mise au service de nos démons: le repli identitaire, la sauvegarde de son domaine réservé et de ses privilèges, la montée de l'extrême droite dans toute l'Europe, comme dans la question de l'immigration?
C'est à ce point précis que vient sonner l'alarme de la fraternité, car la liberté et l'égalité se trouvent dénuées d'effet, de réalité, de valeur, si elles n'engendrent pas la précieuse fraternité. La révolution et ses violences proviennent d'un appel à la liberté. Les lois tentent de répondre à l'aspiration égalitaire. Mais ni la révolution, ni les Etats ne peuvent accoucher de la seule valeur qui peut nous faire vivre, vivre ensemble, car c'est bien à cela que nous sommes appelés, notre vocation d'hommes et de femmes. Cette valeur-là, elle est inscrite dans l'homme, souveraine à chacun, pour répondre librement à l'appel de la fraternité. Qu'est-ce, sinon vivre les uns avec les autres comme tous les membres d'une même famille, une famille idéale, sans divorce, sans rupture entre les générations, dans la richesse des différences. Gilbert Cesbron, déjà cité précédemment, écrivait: "Il y a deux manières d'être un homme parmi les hommes. La première consiste à cultiver sa différence, la seconde à approfondir sa communion".
Fille de la liberté et de l'égalité? Ce n'est pas faux, mais la fraternité n'est-elle pas d'abord fille de l'amour gravé dans le cœur chacun? Pourtant il y a bien des façons de parler de l'amour, tant il existe de dévoiements et de perversions.
Rappelons-nous les trois formes d'amour que les Grecs anciens déclinaient dans leur vocabulaire philosophique: Eros (l'amour qui consomme), Philia (l'amitié et le respect), et Agapé (l'amour donné, totalement désintéressé). Ce dernier mot a été traduit dans la langue latine par Caritas, vous connaissez? Or la charité est très éloignée du rôle dans lequel le langage courant a voulu l'enfermer. Il ne s'agit pas de faire la charité, vocable peu aimable, mais d'être charitable; comme il ne s'agit pas de faire l'amour, mais d'être l'Amour. Souvenez-vous: Ubi Caritas et Amor Deus ibi est (Là où sont la charité et l'amour, Dieu est présent). Ce chant du IXème siècle a traversé les âges et retrouvé toute sa puissance dans le répertoire de Taizé. La charité, l'amour qui vient de Dieu, voilà la source à laquelle s'abreuve la fraternité.
« Si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’un cuivre qui sonne ou une cymbale qui retentit… ». (1 Corinthiens: 13, 1)
Didier HOUDIN