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Baleines pour causer
Baleines pour causer
© Jacques Eguimendya

| Jacques Eguimendya 719 mots

Baleines pour causer

Quand les baleines font causer

 

Ces jours-ci, une baleine s’impose dans un grand nombre de conversations, voire dans la presse. Est-ce exceptionnel pour Hendaye ou simplement le retour d’une vieille habitude, datant de plusieurs siècles ? L’illustre un retour au XIXème siècle et plus particulièrement dans les derniers jours de l’année 1883. En cette année-là une autre baleine défraye la chronique pendant plusieurs semaines.

Intéressée, sûrement par les travaux de la nouvelle station balnéaire au tout début de son édification sur le site d’Ondarraitz, elle décide d’y passer du bon temps. Les sardines sont catastrophées et les pêcheurs ne savent pas s’ils doivent s’en réjouir ou pleurer. Les premières n’ont d’autres recours que de se réfugier dans les cours d’eau jusqu’à la limite des eaux salées, en y inscrivant des reflets argentés. Les seconds, poussés par la tradition et l’appât d’un gain extraordinaire, reprennent harpons et cordes, mais en même-temps s’inquiètent de la concurrence provenant de la gloutonnerie du monstre marin. L’un d’entre-eux, capitaine d’industrie, armateur, innovateur, futur maire de Saint-Sébastien, Don Ignacio Mercader y Echania, confiant en ses vapeurs construits en Ecosse, en fait une affaire personnelle.

Mais le cétacé ne l’entend pas de cette oreille. Non content de faire admirer ses jets d’eau, ses figures aquatiques face à San Sebastián mais surtout dans la baie du Figuier, il essaie parfois d’entrer dans la Bidassoa. Exercice qui n’est pas exempt de risques ; l’enlisement dans le sable de la barre guette, avec comme sanction l’obligation d’attendre la marée haute, tout en servant de cible aux Carabineros. Heureusement, il est possible de varier les plaisirs en partant en excursion à Arcachon, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Zumaya, Deva, Santander ainsi que vers Gijón, poursuivi parfois par une flottille de bateaux espagnols et français.

Le 21 décembre son espièglerie dépasse les limites. La baleine vient narguer Don Ignacio, dans son domaine, en investissant la baie de la Concha où, ce jour-là, les vapeurs de pêche brillent par leur absence. Don Ignacio rassemble un équipage, saute dans la traînière réputée la plus rapide et se lance, en vain, à la poursuite de l’animal qui prend la direction de la mer. Dépité il retourne au port. Il apprendra le lendemain que son adversaire est revenu dans la nuit dans la baie.

La veille de Noël, la baleine est surprise surfant les vagues de la plage de Hendaye, par Don Ignacio Mercader y Echania et son équipage, Embarqués sur le Mamelena n°3, ils se sont munis d’une arquebuse américaine « dont les cartouches font, explosion à l’aide de l’électricité »1. Arrivé à « 15 brasses »2de distance, ils tirent. Touchée, la baleine n’a pas dit son dernier mot. Elle plonge, le vapeur est secoué, elle refait surface deux fois, toujours des secousses, puis plus rien. Elle flotte immobile. Les marins constatent sa mort. Elle est ramenée, à Pasajes où elle est amarrée à l’aide d’une grue à un navire italien provenant de New-York. Notre amie est évaluée, par le correspondant de El Bidasoa, à 43m de longueur et 84 000 Tonnes3.

Epilogue surprise ; la baleine après avoir cassé ses amarres a abandonné son voisin italien. Seulement blessée, après avoir repris connaissance, elle a emporté avec elle la grue et pris le large au sens propre comme figuré. Les recherches sont restées vaines. L’épisode quasi oubliée, en mars 1884 les pêcheurs de Fontarabie et de Hendaye furent surpris de la revoir dans la baie du Figuier. Elle était revenue leur offrir un dernier salut, avant d’entamer la grande migration vers les mers du nord.

Les périodiques locaux ont traité cette aventure de différentes façons. L’Eco de San Sebastián en a fait une épopée, l’Eco de Irun, l’Avenir et le Courrier de Bayonne ont choisi la sobriété, se contentant de descriptions factuelles tout en plaignant les pêcheurs perturbés par cette concurrence sauvage. Constatant le nombreux public massé sur la route du phare du Figuier, à Hendaye, sur les collines entourant San Sebastián ou les rochers de Biarritz, l’Eco de San Sebastián4 est sibyllin « Estos días la ballena es la mayor distracción de los desocupados ».

Jacques Eguimendya

Président AGORA-Txingudi

 

1 Le Courrier de Bayonne 24 décembre 1883.

2 idem

3 El Bidasoa du 30 décembre 1883

4 Eco de San Sebastian 7 décembre 1883


 

 

Article de presse
Article de presse © Jacques Eguimendya
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